• Sérénade pour mandolines

    Cette “sérénade pour mandolines”, c’est toute la douceur du regard bleu de Pierrot ayant perdu sa Colombine, c’est le jeu de cache-cache d’un spectacle de Commedia dell’arte sur la place ocre-jaune d’un village italien, c’est une valse rêvée entre un clown et sa princesse sur le sable d’un cirque itinérant. Ici aussi, Gil explore les confins de l’art pictural mêlé à la musique, c’est-à-dire la lumière de son enfance dans la Petite Sicile en Tunisie. Il faut dire que la mandoline ayant servi de modèle, avec ses formes de poitrine maternelle, n’est autre que l’instrument chéri du père de Gil, aujourd’hui décédé...

    La légèreté de la matière et du trait transmet cette sonorité délicate, si spécifique de la mandoline.

    Ce travail s’inscrit dans une longue série de tableaux. Partie des “Percussions africaines” avec une matière lourde, Gil a ensuite exploré la musique classique dans “Trio” avec des accords de cordes balayant la toile, puis elle continue son aventure de “peinture musicale” avec les résonnances bleu et or des cordes pincées.

    Face à cette légèreté vibrante, à cette humilité presque nonchalante, à ce lâcher-prise du trait naturel et lumineux, comment ne pas penser à la palette du génie de l’animation, le peintre et illustrateur Frederic Back (1924-2013) ? On se rappelle la danse de traits virevoltants, ocre et bleu-ciel, qui se déploie dans le chef d’œuvre de Frederic Back, l’animation aux deux Oscars inspirée du texte de Jean Giono “L’homme qui plantait des arbres”... 

    En fait, Gil semble avoir peint ici le regard espiègle et tendre de son père qui a failli devenir acrobate dans un grand cirque italien.

     

    Chaque regard sur ce tableau plante une mandoline dans notre cœur comme on planterait un arbre dans le désert.

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    Composition

     

    Depuis toujours, le "collorisme rayonnant" de Gil est libre de toutes frontières, qu'elles soient d'ordre géographique ou qu'il s'agisse des frontières entre les genres artistiques. Sa série de tableaux africains fut une réussite à cet égard. Entre autres, on se rappelle des "Percussions africaines", sorte de "tableau musical", ou les motifs de tam-tams sont démultipliés par la technique des ombres portées (technique en usage depuis des dizaines de milliers d'années dans les grottes préhistoriques). Ici, l'évocation d'un trio de musiciens classiques pousse l'échange entre peinture et musique encore plus loin. Le rayonnement vertigineux des deux notes principales de couleur (rayons bleu-roi et vermillon) correspond exactement à la sensation d'un accord entre deux instruments à cordes, tenu en point d'orgue.  La fraicheur d'un violon et la chaleur d'un violoncelle, sur le fond harmonique ocre du piano.

    Mais, ce qui est passionnant, c'est l'incrustation de cette dimension musicale abstraite au sein d'un dessin figuratif représentant des instruments. Comme si le tableau nous offrait une double lecture, abstraite et figurative à la fois, musicale et purement picturale à la fois. Les rayons colores nous donnent à voir les accords, les notes tenues, l'accompagnement. Et d'autre part, les silhouettes rondes des instruments et des musiciens nous donnent à voir la mélodie, c'est-à-dire la partie "la moins abstraite" de la musique. En ceci, on se rappelle, bien sur, la série de guitares peintes par Braque.  Mais la comparaison entre Gil et Braque n'est valable que pour le début du cubisme : à partir de la période dite de "cubisme synthétique", chez Braque, il devenait impossible de discerner toute courbe figurative, comme si la musique classique harmonique s'était transformée en musique contemporaine modale. Gil garde ici une structure harmonique classique, tant et si bien que nous pourrions voir du Mozart ou du Verdi dans ce tableau, mais jamais du John Cage ou du jazz fusion.

    Quoiqu'il en soit, par cette représentation de la musique, Gil s'engage dans une nouvelle voie (sans renier nullement son cheminement passé).

    Il semble même qu'elle se rapproche encore de sa source d'inspiration primordiale, dans une contrée de l'enfance ou musique et couleur n'étaient qu'une seule et même chose.

    En octobre 2013, le pianiste franco-israélien Oro Solomon a enregistré une série d'improvisations au Grand Palais, après avoir installé son piano au milieu de la grande exposition rétrospective consacrée à Braque. Le pianiste a alors déclaré que la première fois qu'il avait pratiqué l'improvisation, à l'âge de 12 ans, il avait placé un tableau sur le porte-partition de son piano, et que cette pratique l'avait fortement marqué depuis lors.   (cf vidéo de l'interview :

    http://www.dailymotion.com/video/x15zgi6_braque-et-la-musique-nuit-blanche-2013-avec-or-solomon_creation?start=24

    et vidéo d'un œuvre enregistrée : 

    https://www.youtube.com/watch?v=DTo29Wq25Qs ) En regardant ce tableau de Gil (Gilda Campanella de son nom de jeune fille) , on imagine que la peintre, d'origine sicilienne de Tunisie, a sans doute appris à dessiner dans son enfance en écoutant sa mère chanter des airs d'opéra et son père l'accompagner à la mandoline ou au violon. D'ailleurs, le prénom "Gilda" n'est-il pas celui de l'héroïne de Rigoletto, archétype de la jeune fille rayonnante, "amoureuse de l'amour" ?

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  • Arbre bleu 2014

    Comme pour Matisse, la figure de l'"Arbre de Vie" est pour Gil une métaphore du paradis retrouvé.

    Gil a peint des arbres jaunes, bleus, rouges, blancs... avec, à chaque fois, cette spiritualité animiste qui la caractérise.

    Matisse, après un détour vers l'animisme des lagons polynésiens, est revenu avec ferveur vers la figure tutélaire de l'Arbre biblique, à la fin de sa vie, grâce aux vitraux de la Chapelle du Rosaire à Vence. C'était en 1950, il avait 81 ans. Puis, jusqu'à sa mort, il a continué à peindre d'immenses platanes pleins de rondeur, avec un large pinceau qu'il déployait de son fauteuil roulant.

    Pour Gil aussi, l'arbre est une forme originelle, ronde, méditerranéenne et généreuse, mais il s'agit d'un "Arbre de Vie païen".

    Souvent, deux racines apparentes sont comme les deux parents d'un enfant. Un tronc solide, équilibré. Puis une myriade de feuilles, comme une explosion de Vie, qui semble cependant parfaitement ordonnée - comme il se doit dans l'ordre naturel.

    L'"Arbre bleu Numéro 2" (plus encore que l' "Arbre bleu Numéro 1") nous laisse ce sentiment de plénitude et de paix caractéristique de la couleur des cieux. C'est bien l' "Arbre de Vie", tel qu'il est décrit dans la Bible ("Apocalypse"), comme la dernière chance de salut pour l'Humanité :

    "(...) il y a des Arbres de Vie qui fructifient douze fois, une fois chaque mois; et leurs feuilles peuvent guérir les païens.".

    Et pourtant, ce tableau de Gil, contrairement à ceux de Matisse, n'est pas un tableau "chrétien".

    D'où la nouveauté - et l'universalité - de cette série d'Arbres de Vie, icones d'une sorte de "spiritualité contemporaine néopaganiste".

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    Descente dans la grotte

    Dans ce tableau monumental, nous retrouvons la technique des "ombres portées à partir d'une statue", procédé rare, qui est cher à Gil. Il  s'inspire librement de l'Art pariétal préhistorique (de Chauvet à Lascaux), de sorte que nous pouvons parler ici de "peinture néo-préhistorique".

    L'esprit de ce style est le même que celui de la peinture néo-primitive d'un Gauguin, par exemple. Il ne s'agit en aucune sorte de copier aveuglement les œuvres primitives, mais de procéder avec le même rapport à la matière, la même sensualité animiste.

    La marge brute laissée autour du tableau renforce le sentiment d' "Art sauvage". Le tableau n'est plus un objet carré, cartésien, ce n'est plus la scène formelle d'une expression académique. Les contours sont libres, il n'y a plus de frontière artificielle entre l'Art et le monde extérieur. Par exemple, on se souvient du visage de Camille Claudel par Rodin ("Aurore")  où la statue est encore entourée du bloc de marbre brut. Dans le tableau de Gil, la transposition de ce procédé génial dans le domaine pictural permet de revenir aux sources de l'Art, à l' "avant-tableau occidental". Cette "reconstitution" de la paroi d'une grotte n'est pas un simple jeu formel : c'est une désacralisation qui permet de re-sacraliser l'œuvre dans un format non rationnel.

     

    Ainsi, la cavalcade des chevaux sauvages apparait plus sauvage encore, plus libre que dans tout autre tableau. On se croit entrainé dans l'Avant-Histoire, c'est-à-dire, dans l'Avant-Langage, dans ce monde animal où la peur de la mort n'existe pas. En fait, cette grotte, c'est celle qu'emprunte Orphée pour remonter le temps de l'Avant-Mort. Elle est peuplée d'âmes fauves virevoltantes, toutes semblables et toutes différentes. Monde du silence. Comme l'esprit de ces chevaux, vivants et muets à la fois.

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