• Ce "paysage" est une "mise en abime chromatique", en même temps qu'une "mise en abime humaine".

    Le trajet artistique et culturel qui mène à ce tableau est vertigineux.

    Au départ, il y a le "mythe Monet", celui des nymphéas de Giverny, jardin "à la japonaise" recréé par Monet en Normandie.

    Les nymphéas (fleurs de lotus), les ponts en laque rouge sur les étangs, tout dans ce jardin impressionniste reconstitue le Japon, mais sous une lumière qui reste normande, pale et opale...

    Gil Campanella, bien-sur, connait ce mythe en profondeur. Ce mythe l'habite même tout particulièrement. En effet, elle vit en Normandie depuis des dizaines d'années, et un de ses fils, lui, vit au Japon depuis plus de vingt ans. Alors, pour rendre visite à son fils, elle se rend au Japon en plein été, et tombe sur un paysage très semblable à celui du jardin de Monet : au Parc Garyu, ville de Suzaka, dans le département de Nagano (Japon Centre-Nord).

    Tout est la, les lotus, les iris, le pont en laque rouge... Mais surtout, la lumière est une "véritable lumière japonaise", infiniment plus violente, pleine de contrastes enivrants.

    La lumière des estampes japonaises - que les impressionnistes français admiraient tant, est enfin là ! Il était impossible de la reconstituer sous le ciel normand (le Japon central de Honshu se situe à hauteur du Sud de l'Espagne). Cette lumière que Van Gogh rêvait de découvrir au Japon même, et qu'il approcha à Arles. Ce rayonnement bleu de Prusse des ciels et des vagues ou ce vert mi-tropical mi-méditerranéen de la végétation luxuriante chez Hokusai, ce rouge tragique des bouches maquillées chez Hiroshige.

    La technique impressionniste poussée à son extrême (dernière période pré-abstraite de Monet et expressionnisme de Van Gogh) peut enfin se marier à la lumière si particulière de l'été au Pays du Soleil Levant.

    La technique occidentale et la sensualité chromatique japonaise se sont enfin retrouvées.

     

    "Elle est retrouvée !

    Quoi ?... L'Eternité

    C'est la mer mêlée

    Avec le soleil"

    Rimbaud.

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  • Les sakura de l'étang de Shinobazu, dans le quartier d’Ueno, à Tokyo, sont les plus célèbres de la ville, avec ceux du cimetière du sanctuaire de Yasukuni.

    Dans le cas d’Ueno, les cerisiers fleurissent au cœur du quartier populaire de Tokyo. Dans l'autre, il s'agit du quartier de l'élite politique et militaire.

    Dans un cas, les cerisiers fleurissent, puis s'éparpillent sur les employés grisés par le saké, sur les bébés en poussettes, sur les clochards...Mais dans l'autre cas, ils recouvrent de leurs pétales les tombes silencieuses des samurais, des guerriers (dont certains criminels de guerre de la Seconde Guerre Mondiale...).

    Ce tableau représente donc les fleurs de cerisiers du Peuple japonais, qui continue malgré tout à se tourner vers la Vie. Non pas les fleurs de la part sombre, nationaliste et mortifère du Japon. Les sakura de l'étang d’Ueno sont, eux, une pure explosion lumineuse. En particulier sur cette langue de terre qui traverse l'étang de Shinobazu.

    "Shinobazu" veut dire "qui ne se languit pas".

    Ainsi, les sakura, ici, ne se languissent pas. Ils fleurissent une semaine, ils explosent littéralement pendant deux ou trois jours, puis lâchent tous leurs pétales au gré d'une rafale de vent, à un moment précis que l'on a parfois la chance d'apercevoir. Cette effusion de larmes joyeuse et tragique à la fois, ce cri du cygne de cent arbres centenaires, tout ceci est décuplé un instant à la surface de l'étang.

    ...

    Bien-sur, il ya aussi un saule pleureur au bout du chemin, avec ses bourgeons vert-tendre. Oui, mais lui, c'est un "arbre normal". Les sakura, eux, sont des arbres exceptionnels, et aussi les plus courants de l'Archipel. Car ce sont les seuls arbres qui nous montrent, ou plutôt qui nous font croire un instant qu'il est possible de vivre avec pureté puis de partir "sans en rajouter", "avec des larmes et un sourire".

    Ici, le chaos bascule du coté de la Vie, miraculeusement.

     

     

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  • Le cheminement des ocres sur les murs a des reflets de visage tanné par les années. Ici, le "visage de la rue" est tanné par les siècles d'Histoire Romaine. L'ocre, avec toutes ses nuances, c’est la couleur primaire, celle des grottes préhistoriques, celle des bas-reliefs gothiques et des premières icones de la Renaissance. De Lascaux à Sienne, en passant par Xian en Chine, par les Dogon du Mali ou les aborigènes d'Australie, l'ocre, c'est la Terre nourricière devenue couleur. C'est le pigment naturel le plus ancien, le plus profond, le plus riche de sensations primitives. Ainsi, cette "Rue de Rome" figure en quelque sorte de l'Histoire (et la préhistoire) de l'Humanité, qui décline peu à peu l'Histoire en mille pigments, en partant de l'ocre jaune jusqu'au brun, au rouge Brésil, jusqu'au vert Taïga et au bleu de Prusse. Cette rue, c'est un peu le visage de l'Humanité, harmonie rêvée de toutes les couleurs de peaux et de terres, sorte de portrait déstructuré au centre duquel trône la touche divine de l'ocre jaune !

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